LE VIEILLISSEMENT - DE LA CELLULE AUX SYSTÈMES

La perte de l’adaptabilité physiologique du vieillard aux variations de l’environnement est une des caractéristiques du vieillissement. Trois systèmes permettant la mise en relation d’un organisme avec son milieu : le système immunitaire, le système endocrinien et le système nerveux.

Le système immunitaire a été l’objet de nombreuses études au cours du vieillissement. Le thymus, nécessaire à la différenciation des lymphocytes T, thymus qui s’atrophie rapidement avec l’âge, a été incriminé. La réponse des lymphocytes T aux agents induisant la mitose s’atténue dès les premiers mois chez la souris, alors que la réponse des lymphocytes B reste la même jusqu’à un âge avancé. Celle-ci pourrait avec l’âge augmenter les réponses auto-immunes et les affections de ce type si fréquentes chez le vieillard. Fabris, Pierpaoli et Sorkin (1972) montrent que le thymus et les lymphocytes T au contraire, assurent la prévention du vieillissement, comme la transplantation de ganglions lymphatiques. Leur activité fonctionnelle dépendrait de sécrétions hormonales. Les lymphocytes s’opposeraient aux produits des cellules vieillissantes et à ces cellules elles-mêmes.

Par ailleurs, Mc Kay il y a plus de 40 ans, avait constaté que la restriction calorique prolonge la vie des rats de 50 à 100 p. 100, ce qui a été confirmé depuis dans de nombreux laboratoires. Ces résultats s’expliqueraient par le fait que la restriction calorique chez le jeune animal retarderait la maturation des réponses immunitaires et en conséquence l’apparition des auto-anticorps, donc du vieillissement. Il en est de même de l’hypothermie chez le poisson, mais l’hypothermie provoquée de longue durée n’est pas encore praticable chez l’homme.

En ce qui concerne le système endocrinien, on a essayé d’étudier son action sur l’induction enzymatique au cours du vieillissement. Il ne semble pas que les cellules qui synthétisent les enzymes présentent une perturbation de leur réponse aux hormones. Cependant, cette année même, Kanungo, Patnik et Koul ont constaté une diminution des récepteurs aux 17b-œstradiol dans le cerveau des rates âgées. La sécrétion de certaines hormones comme l’insuline n’est pas diminuée avec l’âge, de même que sa fixation membranaire. On en vient alors à se demander si le responsable n’est pas le système nerveux qui tient sous sa dépendance les principales sécrétions hormonales par l’intermédiaire des facteurs de libération hypothalamique des hormones hypophysaires (Releasing factors). Finch par exemple, pense que l’altération de certaines populations de neurones dans le cerveau pourrait contrôler le vieillissement. Il n’a cependant pas trouvé de variations importantes chez le vieillard des concentrations des monoamines cérébrales dans l’ensemble du cerveau. Par contre, il a noté que la concentration de dopamine dans le striatum diminue jusqu’à 25 p. 100 chez le sujet âgé. Or, on sait que la diminution de la concentration de dopamine dans le striatum est associée avec la maladie de Parkinson qui survient surtout chez le sujet âgé. Cette diminution résulterait d’une difficulté de transformation des précurseurs des monoamines car, par ailleurs, ces précurseurs pénètrent dans le cerveau vieillissant aussi facilement que dans le cerveau jeune. Mais une augmentation du catabolisme des monoamines peut aussi être envisagée. Rappelons qu’une molécule biologique introduite par notre groupe en thérapeutique en 1960, le gamma-hydroxybutyrate de Na, augmente, comme l’ont montré Jessa et collaborateurs, la concentration de dopamine cérébrale et particulièrement dans le striatum. Par ailleurs, cette même molécule augmente l’activité du shunt de l’hexose monophosphate dans le cerveau de 300 p. 100, comme nous l’avions indiqué et comme Taberner, Rick et Kerkurt l’ont confirmé. Il s’oppose aussi aux convulsions dues à l’oxygène hyperbare et diminue la mortalité due aux radiations ionisantes. Nous retrouvons là les radicaux libres et les antioxydants. Les radicaux libres paraissent posséder une importance très grande, par l’intermédiaire de la lipoperoxydation des membranes, dans l’établissement de l’athérosclérose. Lorsque l’athérosclérose s’étend aux vaisseaux cérébraux, l’hypoxie cérébrale qui en résulte aurait, pour Sokoloff, une responsabilité prépondérante dans la perte progressive des neurones et l’affaiblissement consécutif des facultés intellectuelles.

Ces trois systèmes qui gouvernent les relations de l’individu avec son milieu, interviennent sans doute dans la pathologie du vieillard. La défection du système immunitaire explique peut-être la fréquence plus grande des tumeurs malignes chez lui. Mais les troubles cérébraux sont surtout à considérer, car le système nerveux permet l’action de l’individu sur son environnement et sa réaction en réponse à l’environnement. Avant d’envisager la place des processus du vieillissement dans l’espace sociologique de l’individu, il nous est donc nécessaire de préciser certaines notions indispensables à la compréhension des activités nerveuses comportementales.

Nous avons défini l’agression comme la quantité d’énergie capable d’accroître l’entropie d’un système organisé, autrement dit de faire disparaître sa structure. À côté des agressions directes, physiques ou chimiques, l’agression psychosociale au contraire passe obligatoirement par la mémoire et l’apprentissage de ce qui peut être nociceptif pour l’individu. Si elle ne trouve pas de solution dans l’action motrice adaptée, elle débouche sur un comportement d’agressivité défensive ou, chez l’homme, sur le suicide. Mais si l’apprentissage de la punition met en jeu le système inhibiteur de l’action, il ne reste plus que la soumission avec ses conséquences psychosomatiques, la d8pression ou la fuite dans l’imaginaire des drogues, des maladies mentales ou de la créativité.

Nous avons signalé qu’en situation sociale, la gratification, c’est-à-dire l’utilisation, suivant les besoins, des objets et des êtres situés dans le territoire d’un individu, c’est-à-dire dans l’espace au sein duquel il peut agir, s’obtenait évidemment par l’établissement de sa dominance. Celle-ci s’établit chez l’animal grâce à la force physique. Chez l’homme il en fut longtemps ainsi. Mais la propriété que possède l’espèce humaine d’ajouter de l’information à la matière inanimée, de la mettre en forme pour en faire le produit d’une industrie, permit bientôt les échanges, puis l’accumulation d’un capital permettant de s’approprier les objets et les êtres, donc de se gratifier. La dominance s’établit alors sur la possession du capital et des moyens de production des marchandises, les machines résultant elles-mêmes de la manipulation par le cerveau humain de l’information technique. Plus récemment, l’importance prise par les machines dans le processus de production a favorisé ceux capables de les imaginer et de les contrôler grâce à l’acquisition d’une information abstraite, physique et mathématique. Elle a favorisé les techniciens. La dominance s’est alors établie sur le degré d’abstraction atteint par un individu dans son information professionnelle. C’est elle qui aujourd’hui est à la base des hiérarchies, non seulement professionnelles, mais de pouvoir économique et politique.


HENRI LABORIT L'inhibition de l'action
Biologie Physiologie Psychologie Sociologie (Masson 1981)

Introduction
Chapitre I - Généralités
Chapitre II - Le système nerveux
Chapitre III - Corrélations neuro-endocriniennes
Chapitre IV - Esquisse d'une psychosociologie
Chapitre V - Les maladies de l'inhibition comportementale
    I - Le normal et le pathologique
    II - Maladies de l'inhibition comportemaentales ou maladies psychosomatiques
    III. - Inhibition de l'action et pathologie générale
        D.- Le vieillissement
            1 - Le niveau d'organisation moléculaire et cellulaire
            2.- De la cellule aux systèmes (p.180-181)
            3.- Les facteurs sociologiques du vieillissement
            4.- Le vieillard dans la société
Conclusions

Bibliographie de H. LABORIT

http://wij.free.fr/labo_sys.htm
Création le 6 juin 2000 par J.-Ph. GÉRARD
MàJ le 8 juin 2000