Prescrire
n°195 mai 1999, 19:398

CONJONCTYL°

Artifice administratif.

Quelles sont les raisons qui ont justifié l'arrêt de la commercialisation du médicament Conjonctyl°. Je n'ai pu obtenir aucune informaation probante du laboratoire Sédifa qui commercialise ce médicament et l'Agence française du médicament me fait savoir que ce dossier est trop vieux pour en savoir plus.

Pharmacien, j'ai eu l'occasion d'en délivrer au cours de mon exercice officinal, et les patients qui en recevaient me semblaient être très satisfaits par les résultats obtenus.

J'aimerais donc savoir
. les raisons de cet arrêt de commercialisation ;
. le mécanisme d'action de ce principe actif ;
. sa toxicité ;
. les éventuelles études réalisées sur ce produit, in vitro et en clinique ;
. les équivalents thérapeutiques de ce médicament ;
. la présence de ce principe actif dans d'autres secteurs de distribution (à ma connaissance, certains compléments alimentaires en contiennnent) ;
. les risques encourus.

Cédric Bourges-Sevenier
Pharmacien (24)

Après 23 ans de commercialisation en France, Conjonctyl° (composé de monométhyltrisilanol orthohydroxybenzoate de sodium (alias méthylsilanetriol, et présenté comme "stimulant de la régénération des tissus conjonctifs") a suivi la procédure de validation comme toutes les spécialités mises sur le marché avant 1976. L'Agence française du médicament a alors considéré que le dossier d'évaluation (notamment clinique) n'était pas conforme aux exigences actuelles, ce qui n'est pas étonnant vu l'âge de la spécialité. L'autorisation de mise sur le marché (AMM) n'a donc pas été renouvelée à compter de 1996, mais le fabricant a disposé d'un an de délai pour présenter un éventuel nouveau dossier de demande d'AMM "conforme", avant l'arrêt de fabrication définitive. C'est pourquoi Conjonctyl° a continué à être disponible en officine jusqu'à épuisement des stocks. Il n'y a pas eu de retrait autoritaire pour raison de pharmacovigilance.

Les laboratoires Sédifa ont renoncé à reconstruire un dossier de demande d'AMM conforme aux exigences actuelles. Vu les indications revendiquées jusqu'alors pour Conjonctyl° (artérites, ostéoporoses, mastodynies), il faudrait en effet entreprendre des essais cliniques importants, sans doute trop lourds pour une entreprise comme les laboratoires Sédifa.

La solution adoptée par ces laboratoires n'a pas été d'arrêter de vendre leur spécialité (comme cela se produit souvent), mais d'envisager sa commercialisation sous le statut de "dispositif médical", beaucoup moins contraignant que celui de médicament (1). Selon les laboratoires Sédifa que nous avons interrogés par téléphone, la procédure est actuellement en cours, mais sa durée est imprévisible. Toujours selon les laboratoires Sédifa, lorsque Conjonctyl° sera à nouveau commercialisé, sous ce statut de dispositif médical, une campagne d'information sera réalisée à l'intention des professionnels de santé et de leurs médias.

C'est donc une fois de plus, l'histoire d'un vieux médicament qui ne sera pas mieux évalué mais qui continuera probablement à être commercialisé, grâce à un artifice administratif.

On peut le regretter, s'agissant notamment d'un médicament injectable non anodin, mais le même problème se pose par exemple pour des médicaments à base d'acide hyaluronique aujourd'hui commercialisés comme dispositifs (1).

Y a-t-il moyen de remplacer Conjonctyl° pour des patients qui en recevaient ? Il n'y pas d'équivalent strict sur le marché français du médicament du médicament. Selon les indications (en cardio-angéiologie, en rhumatologie ou en gynécologie), le Guide national de prescription (GNP) le classe auprès de spécialités relevant de l'homéopathie ou de l'oligothérapie, voire de la phytothérapie (2,3,4). Les ouvrages de référence en pharmacologie clinique ne mentionnent pas le méthylsilanetriol, qu'ils soient anglophones (Martindale, British National Formulary, AMA Drug Evaluations) ou francophone (Schorderet). Cela tend à confirmer qu'il s'agit d'une substance qui n'a pas fait la preuve d'une activité clinique spécifique (en l'état de son évaluation). On ne peut donc la considérer que comme une substance à effet placebothérapeutique, qui pourrait être remplacée par les spécilaités énumérées dans les mêmes chapitres du GNP (2,3,4). Il est toutefois essentiel, vu les indications concernées, que les patients aient fait l'objet d'un diagnostic rigoureux, ne laissant pas dans l'ombre une pathologie sérieuse qui nécessiterait un autre type de traitement.

La revue Prescrire

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1- "Des médicaments deviennent 'dispositifs médicaux' " Rev Prescr 1998 ; 18 (189) : 758

2- "Vasodilatateurs et anti-ischémiques - Autres". In "GNP-Encyclopédie pratique du médicament". OVP Éditions du Vidal, Paris 1999 : 183.

3- "Rhumatologie - Autres". In "GNP-Encyclopédie pratique du médicament". OVP Éditions du Vidal, Paris 1999 : 1401-1402.

4- "Gynécologie - Autres - Voie générale". In "GNP- Encyclopédie pratique du médicament". OVP Éditions du Vidal, Paris 1999 : 713-714.

Ce point de vue relativement argumenté de la revue Prescrire m'a paru surtout devoir répondre à côté de la question (en particulier concernant les compléments alimentaires). Tout ce que dit Prescrire n'est pas faux, mais c'est surtout très tendancieux, et traduit en fait une méconnaissance pratique totale de ce médicament. On nous signale juste qu'on ne sait pas trop de quoi on parle (c'est 'donc' un placebo...). Cette revue a plutôt une bonne réputation dans le milieu médical praticien (pas de pression publicitaire). Malheureusement, cet indépendance rédactionnelle à parfois pour conséquence une certaine étroitesse d'analyse.

On ne parle bien, et avec les meilleurs arguments, que de ce que l'on connaît pour l'avoir expérimenter soi-même. Tout Savoir qui veut prétendre à une quelconque Connaissance se doit d'être vécu. La culture de la revue "Prescrire" sur ce produit est essentiellement journalistique  (quelques coups de téléphone) et bibliographique (et encore bien étroite). Non, ce médicament n'est pas inactif et beaucoup de laboratoires voudraient l'avoir inventé aujourd'hui.

Malheureusement, j'ai bien peur que dans cette histoire la seule responsabilité (...et "culpabilité") des laboratoires SÉDIFA soit d'être trop petits et d'avoir inventé ce médicament il y a trop longtemps et surtout de ne plus attendre après le Conjonctyl° pour survivre. EXSYMOL (même adresse, mêmes dirigeants que SÉDIFA) fabrique également le methylsinanetriol (principe actif du Conjonctyl) et des principes siliciés voisins à destination de l'industrie cosmétologique.

Les vrais problèmes (assez paradoxaux en fait) du Conjonctyl° sont :
. un spectre d'action 'trop' large : ostéoporose, artérite, mastodynies, etc. (en particulier toutes les indications 'spontanées' développées en 25 ans de commercialisation, du fait aussi de sa sûreté : aucun signalement à la pharmacovigilance),
. un mode d'administration (I.M., I.V.) peut-être archaïque (?) et
. une couverture brevet aujourd'hui nulle. Ainsi, tout effort de développement supplémentaire du Conjonctyl par SÉDIFA aurait été sous le feu d'un gros laboratoire (--> généricable).

Ce médicament, que je prétends assez exceptionnel (j'ai eu accès de façon assez privilégié à pas mal des données cliniques le concernant) serait-il mort ? Ne pourrait-il pas être repris par un laboratoire "grand-frère". En fait, un laboratoire avec une taille critique suffisante pourrait également se trouver assez gêné pour re-développer un tel médicament : risque de cannibalisme de spécialités pharmaceutiques agissant sur les mêmes pathologies, pas plus efficaces ou avec des contre-indications ou effets secondaires (dont le Conjonctyl° est totalement dépourvu). Il est de loin préférable d'inventer un médicament que l'on pourra prescrire à vie, pour une pathologie que l'on segmentera encore éventuellement : marchés de niche (ce qui est en train de se passer pour les démences). Aujourd'hui, pour un industriel pharmaceutique la "panacée" n'est pas de soigner le maximum de pathologies avec un minimum de drogues, c'est exactement l'inverse, c'est identifier un maximum d'indications de prescription et pour chacune un médicament spécifique. Bien sûr, le sens du mot "panacée" se rapporte surtout à la santé financière de l'entreprise.

S'il était inventé aujourd'hui, le Conjonctyl° serait un formidable "blockbuster" (un générateur de ca$h) pour une indication et une seule. Exemple au hasard (...), la maladie d'Alzheimer ? Malheureusement, tant que la nécessité d'exclusivité des industriels pharmaceutiques (brevet), seule génératrice de profit à leurs yeux, bridera leurs efforts imaginatifs pour trouver de nouvelles indications à de "vieux" actifs, il faudra passer par pertes et profits une bonne partie de nos acquis chimiothérapeutiques historiques. Par voie de conséquence, notre pharmacopée s'appauvrit. Dommage. Très dommage.

 


Indications Thérapeutiques du CONJONCTYL° (telles que relevées dans la base de données BIAM)

* Ischémies circulatoires :

- cérébrales insuffisances vertébro-basilaires, carotidiennes

- des coronaires : angine de poitrine, prévention de l'infarctus du myocarde

- des mésentériques : artérite digestive

- des membres : artérites des membres inférieurs en traitement médical ou complémentaire d'une intervention chirugicale restauratrice ou vasodilatatrice.

* ostéoporoses primaires ou secondaires (cortisoniques)

* mastodynies et mastoses (micro ou macrokystiques)

* sénescence asthénie invalidante, amélioration des états physique et psychique du vieillard.


 

Voici le texte d'une question posée le jeudi 7 décembre 2000 aux "Amphis de l'athérothrombose" à la Faculté de Médecine de PARIS, 45, rue des Saints-Pères, amphithéatre WEISS. Soirée de Formation Médicale Continue, sponsorisée par SANOFI-Synthelabo & Bristol-Myers dans le cadre de la journée de l'athérothrombose en collaboration avec le Collège National des Cardiologues Français (CNCF).

" Une autre question sur l'Artériopathie Oblitérante ses Membres Inférieurs.

Le silicium, cofacteur de la synthèse d'élastine, a été disponible
pendant plus de 25 ans dans notre arsenal thérapeutique
pour le traitement des AOMI grâce au Pr. Jacques LOEPER (St Antoine)
qui a été élu à l'Académie de Médecine pour ces travaux.

La restauration de la compliance artérielle par ce traitement
(un tuyau souple conduit mieux un débit qu'un tuyau rigide)
permettait d'étendre durablement des périmètres de marche
des plus restreints - 50 à 100 mètres - jusqu'à illimité,
dans les cas les plus favorables, par un traitement qui durait
quelques mois.

Malheureusement la petite taille du laboratoire qui commercialisait
le Conjonctyl, la relative difficulté d'administration (I.M., I.V.)
et la perte d'exclusivité brevet qui empêchaient tout développement
clinique rentabilisable, nous privent depuis peu d'une ressource
thérapeutique probablement unique.

Qu'en pensez-vous ? "

 

Le Professeur X. après avoir tenté de raccourcir  ma question au bout d'une phrase m'a répondu :

*** " Votre question contient en elle-même sa réponse. "

Devant mes protestations, il a enchaîné en substance :

*** Si ce brevet était si valable, Sanofi-Synthelabo ou Bristol-Myers, s'y seraient intéressé.

### Je viens de vous dire que le brevet était expiré.

*** Tout le monde sait que les industriels ne s'intéressent qu'au profit (sur un mode très ironique)

### Ce n'est pas parce que vous ne connaissez pas ces travaux qu'ils n'existent pas.

*** Envoyez-moi un dossier.

### Où çà ?

*** Service de Cardiologie à l'Hôpital X. de X.  (sous-entendu, vous devriez me connaître et le savoir)

### Ce n'est pas l'Académie de Médecine

*** Je n'y serai certainement jamais.

### SILENCE.

 

http://wij.free.fr/prescrir.htm
Création le 7 janvier 2000
par J.-Ph. GÉRARD
Mise à Jour
le
13 décembre 2000