Éthique et placebo

Francisco de Abajo – Diego Gracia

Outils irremplaçables de la recherche clinique, les placebos utilisés pour la mise au point de nouveaux médicaments doivent être employés selon des règles éthiques rigoureuses.

L’introduction du placebo en recherche clinique fut un progrès considérable de la médecine expérimentale : quand on compare des personnes qui reçoivent un nouveau médicament à un groupe de contrôle auquel un placebo a été administré, l'étude statistique de l’efficacité est facilitée. Néanmoins, a-t-on le droit d’administrer un placebo à des malades qui ont besoin d’un traitement ? Quand peut-on avoir recours au placebo ?

En latin, Placebo signifie « je plairai ». L’emploi substantivé du mot a pour origine un verset de la Vulgate (une traduction latine de la Bible), qui fut intégré à la liturgie catholique romane dans les vêpres de l’office des morts : Placebo Domino in regione vivorum (« Je plairai au Seigneur chez les vivants »). Au XIIe siècle, en Angleterre, l’office des morts était nommé placebo, en raison du premier mot du verset. Par extension, à partir du XIVe siècle, les chanteurs de psaumes furent nommés chanteurs de placebos. Puis le terme décrivit le comportement de courtisans et de personnes complaisantes en général.

De là, le terme est rapidement passé à la médecine, bien que la première définition médicale du placebo ne date que de 1785 : dans le dictionnaire médical de Motherby, le placebo est décrit comme une « médecine banale ». En 1811, le dictionnaire médical Hooper indique déjà que « placebo est un qualificatif qui s’applique à toute médication prescrite davantage pour satisfaire le patient que pour lui être utile ». Si l’importance de l’effet psychologique est ainsi soulignée, le caractère chimiquement inerte du placebo n’apparaît qu'à la fin du XIX' siècle ; aujourd’hui, le placebo est une substance n’ayant aucune action thérapeutique intrinsèque, utilisée en recherche clinique comme moyen de contrôle de l’efficacité d’un médicament ou de tout autre outil thérapeutique.

En 1950, le médecin A.D. Berg dissocie le placebo de l’effet placebo, ce dernier acquérant une portée plus générale. Il observe que tout médicament, y compris les placebos, a des effets favorables en raison du caractère symbolique de l’intervention curative. C’est l’effet placebo.

Toutefois, les améliorations observées chez des malades auxquels on a administré un placebo ne sont pas toutes imputables à l’effet placebo : elles résultent également de l’évolution naturelle de la maladie, de variations individuelles ou aléatoires de la résistance des malades et de facteurs inconnus. En confrontant les effets d’un médicament avec celui d’un placebo, les médecins cherchent à identifier l’effet thérapeutique spécifique du médicament.

De Claude Bernard aux essais cliniques

Si l’effet placebo est aussi ancien que la thérapeutique elle-même, son identification n’eut lieu qu’à la Renaissance, quand des médecins se préoccupèrent du rôle joué par l’imagination dans le déclenchement et le développement des maladies. Au XIV' siècle, Michel de Montaigne décrit plusieurs situations, parfois personnelles, de maladies induites ou soulagées par l’imagination. Il cite le cas d’un gentilhomme qui, ayant donné un dîner chez lui, annonça trois jours plus tard à ses invités qu’il leur avait fait manger un pâté de chat. C’était une plaisanterie, mais l’une des jeunes convives en conçut une telle horreur qu’elle contracta une forte fièvre et souffrit de troubles gastriques dont elle mourut.

Les maladies qui naissent de l’imagination peuvent être immédiatement soulagées quand leur cause est clairement identifiée : Montaigne raconte aussi qu’une femme, croyant avoir avalé une épingle en mangeant du pain, hurlait comme si sa gorge la faisait souffrir de manière insupportable. Comme on ne constatait ni blessure ni signe que l’épingle était plantée dans la gorge, un homme ôta le morceau de pain bloqué dans la gorge de la femme, fit vomir celle-ci et plaça en cachette une épingle tordue dans les vomissures : la femme, croyant avoir rendu l’épingle, cessa aussitôt de souffrir.

Cependant, jusqu’à la fin du XVIII' siècle, personne ne songea à séparer l'effet placebo de l’effet thérapeutique des traitements utilisés. Le médecin écossais John Haygarth, toutefois, s’intéressa aux baguettes métalliques qui, en vertu de propriétés électriques, auraient soulagé des maladies variées. Le traitement par ces « baguettes de Perkin » était recommandé par d’éminents médecins, avec tant de succès qu’un institut d’études du « perkinisme » fut fondé à Londres. Haygarth testa expérimentalement ce traitement en utilisant sur cinq patients des imitations en bois de ces baguettes : tous, sauf un, furent soulagés de leurs maux. Le lendemain, il répéta le traitement avec les véritables baguettes et obtint des résultats semblables, ce qui l’amena à conclure que « l’esprit exerce des effets puissants sur l’état de l’organisme. Ce facteur est fréquemment passé inaperçu dans le traitement des maladies ».

En 1865, le physiologiste français Claude Bernard publia son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, où il souligne la nécessité de l’expérimentation comparative en tant que règle générale et absolue : « Il serait aisé de prouver que pratiquement toutes les erreurs expérimentales proviennent du manque d’attention prêté au juge­ment comparatif des faits, ou de la comparai­son de cas qui n'étaient en rien comparables. »

Quelques années auparavant, en 1834, un autre médecin français, Pierre-Charles Louis, l’un des fondateurs de l’épidémiologie, avait proposé une « méthode numérique », pour évaluer les traitements médicaux, en insistant sur le caractère comparatif de la recherche clinique : « Afin de nous assurer de la supériorité d’un traitement sur d’autres, quelle que soit la maladie et en tenant compte des circonstances différentes d’âge, de sexe et de constitution, il ne fait aucun doute que nous devons nous demander si, dans ces circonstances, le nombre d’individus qui sont guéris par un procédé est supérieur au nombre de guérisons obtenues par l'emploi d’un autre. Une fois encore, il est nécessaire d’effectuer un calcul. C'est en grande partie en raison de l’utilisation rare ou inexistante qui a été faite jusqu’à présent de cette méthode que la science de la thérapeutique continue à être aussi incertaine. »

Le courant expérimental de Bernard et le courant statistique de Louis ont évolué indépendamment et, dans un certain sens, de manière opposée, car Bernard désavouait l’utilisation des statistiques dans l'obtention d'une connaissance scientifique. Néanmoins, ces deux courants de pensée convergent, au début du XXe siècle, quand naît l’essai clinique contrôlé, universelle-ment adopté depuis. Afin de comparer des sujets de contrôle à des sujets traités, les médecins cherchent des substances ou des interventions inertes pour la maladie étudiée. La première étude d’un placebo comme moyen de contrôle est celle de F.Ferguson, A. Davey et W. Topley, en 1927 : ils comparent un vaccin contre le rhume commun avec un sérum salin, en utilisant en outre le procédé du double aveugle (ni les malades ni les médecins qui vaccinent ne s ont informés du type de produit utilisé).

Depuis, l’utilisation de placebos s’est imposée dans les essais cliniques. La méthodologie se perfectionne à la fin des années 1940, quand le statisticien anglais Austin Bradford Hill met en œuvre le tirage au sort des malades pour la constitution du groupe témoin et du groupe recevant le traitement ; il systématise également l’administration en double aveugle des traitement à comparer. Les années 1940 marquent également le début de l’étude scientifique de l’effet placebo, des facteurs qui le conditionnent, de ses bases psychophysiologiques et de sa pharmacologie.

Aujourd’hui, on teste l’efficacité d’un médicament en formant deux groupes de malades : un groupe de contrôle et un groupe expérimental. Les personnes qui participent aux études sont sélectionnées selon des critères qui dépendent de leur état de santé, de leur sexe, de leur âge, etc. Lorsqu’elles acceptent de participer à l’étude, elles sont placées au hasard dans l’un des deux groupes. Au terme d’une période de traitement spécifiée par le protocole, l’effet du médicament est évalué sur la base de paramètres cliniques ou analytiques. L’utilisation du placebo facilite l’étude en aveugle. Naturellement, l’aspect, l’odeur et le goût des substances à comparer doivent être identiques.

Supposons que l’on souhaite connaître l’efficacité d’un médicament contre l’ulcère duodénal. Le critère de guérison utilisé est la disparition de l’ulcère duodénal, constatée par endoscopie digestive, quatre semaines après le début du traitement. On compare la proportion de personnes guéries dans le groupe expérimental à la pro-portion des personnes guéries dans le groupe de contrôle. Une étude statistique indique la probabilité que la différence d'effet, quand on en observe une, soit un effet du hasard. Quand la probabilité que la différence observée soit due au hasard est inférieure à 0,05, le résultat est déclaré statistiquement significatif. La signification statistique dépend de la taille de l’échantillon : plus les groupes comparés sont petits, plus la différence entre les groupes doit être importante. En outre, les médecins qui participent à de telles études doivent synthétiser ces résultats statistiques et les déterminations cliniques des effets pour décider de l’intérêt du traitement testé.

En administrant un placebo au groupe de contrôle, on obtiendrait une évaluation statistique de l’intervention expérimentale avec un nombre de patients inférieur à celui qui serait nécessaire si l’on administrait au groupe de contrôle un traite-ment plus efficace que le placebo. Plus loin, nous verrons cependant que l’administration d’un traitement moins efficace qu’un traitement connu n’est pas éthique.

Placebo, une utilisation variée

Quand on compare en aveugle deux médicaments dont la posologie ou la voie d’administration diffèrent, le placebo rend l’intervention expérimentale impossible à distinguer de l’intervention de contrôle ; c’est la double simulation, ou double feinte. Ainsi, lors de la comparaison d'un traitement A administré une fois par jour (le matin) avec un traitement B administré deux fois par jour (matin et soir), on « camoufle » la différence en donnant le soir, aux patients traités avec A, un placebo de caractéristiques identiques au traitement actif.

Le placebo est également utilisé dans des essais croisés en double aveugle, où chaque patient reçoit le traitement à évaluer et le placebo. Dans ce cas, chaque sujet sert d’« auto contrôle ». On détermine par tirage au sort l’ordre dans lequel les deux substances sont administrées à chaque personne testée. Cette technique limite la variabilité des réactions et le nombre d'échantillons nécessaires, mais elle a des inconvénients, parmi lesquels l’« effet séquence », qui se produit lorsque l'effet du premier traitement persiste lors de l’administration du second. Pour réduire cette influence et retrouver les conditions qui pré-valaient avant l’administration du second traitement, on respecte une période de purge de l’organisme, au cours de laquelle est employé un placebo indiscernable des médicaments de l’essai. Cette période doit être suffisamment longue pour que le médicament de la première période soit quasi éliminé de l’organisme.

Le placebo est également employé dans certains essais, avant la constitution des groupes, pour stabiliser l’état de santé des participants à l'étude, pour purger les traitements précédents ou pour identifier des patients qui réagis-sent positivement au placebo. Parfois aussi, les traitements qui sont comparés au placebo sont remplacés par ce dernier à la fin de l’essai, pour mettre en évidence de possibles effets de retrait ou de sevrage.

Peut-on exposer des êtres humains à des risques considérables, voire à la mort, à seule fin de faire progresser la médecine ? Au cours de l’histoire, ce problème éthique a été diversement résolu. Au Ier siècle de notre ère, le chroniqueur romain Celse raconte qu’à Alexandrie les condamnés à mort servaient de sujets d'expérience. À l'aube de la médecine expérimentale, Bernard affirme que les interventions sur l'organisme d'un être humain ne sont justifiées que si elles lui procurent un bénéfice. Bernard justifie la recherche sur les animaux et sur les cadavres, mais pas celles réalisées sur les humains. Après lui, le médecin britannique William Osler et d'autres ont soutenu que l’expérimentation sur les humains n’est moralement acceptable que si ces derniers l'acceptent volontairement, une fois informés des risques possibles.

Principes et morale

L’éthique moderne des essais cliniques se développe à partir des années 1970. Un des principes retenus est le principe de réciprocité, ou règle d’or : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fît. Le second principe, le principe d’universalité, est inspiré d’Emmanuel Kant : « Agis de manière à pouvoir ériger la maxime de ton action en maxime universelle. » Ces principes mènent à la formulation d’une proposition générale : les humains doivent être respectés et ne peu-vent être utilisés comme de simples moyens destinés à satisfaire des objectifs particuliers. L'être humain doit toujours être considéré comme une fin en soi. Ni le principe de réciprocité ni celui d’universalité, pas plus que la proposition universelle du respect humain qui en découle, ne présentent de contenu déontologique : ces principes n'indiquent pas comment le médecin doit se comporter en pratique. À la différence des principes, les normes d’action présentent un contenu matériel ou déontologique précis, tel ne pas tuer, ne pas mentir, etc. Entre les principes généraux et les normes concrètes, on trouve les maximes. Elles ne constituent pas des normes, mais une ébauche de ce que doivent être les normes ou les conditions qu'elles doivent respecter. Aujourd’hui, les commissions d’éthique ont précisé quatre ébauches de normes, et toute norme qui ambitionne d’être morale devra respecter ces quatre principes : autonomie (respect des préférences des personnes), bienfaisance (respect des idéaux de vie), non-malfaisance (ne pas blesser) et justice (distribuer équitablement les charges et les bénéfices). Des exceptions sont toutefois possibles. Certains de ces principes sont prioritaires. Même avec le consentement du patient, par exemple, il n'est pas légitime de mener une recherche malfaisante ou injuste.

Prenons en exemple l’étude tristement célèbre de Tuskegee, ainsi nommée d'après la ville de l’Alabama où elle a été réalisée. L’objectif consistait à étudier l’histoire naturelle de la syphilis non traitée. Les chercheurs choisirent des hommes noirs des régions rurales qui souffraient de cette maladie. L’étude commença dans les années 1930, avant que la pénicilline ne fût disponible, mais elle se poursuivit bien après que cet antibiotique fût devenu un traitement courant. Cette étude était de toute évidence malfaisante et injuste (pourquoi uniquement des noirs, analphabètes pour la plupart, si la maladie ne s'attaquait pas uniquement à eux ?) ; elle était donc condamnable, même si les patients avaient accepté d’y participer. En fait, même cette condition n’était pas présente : les patients furent privés à la fois du traitement et de l’information, et à aucun moment ils n’eurent la possibilité de donner leur consentement. Cette étude fut rendue publique en 1972 et constitua l’un des plus grands scandales de l’histoire de l’éthique de la recherche clinique.

Pour une utilisation éthique du placebo

Les problèmes éthiques qui résultent de l’utilisation du placebo peuvent être regroupés en trois catégories : la tromperie, le dommage direct par l’administration du placebo ou l'application d’interventions invasives, et le dommage indirect par omission du traite-ment potentiellement bénéfique. En outre, l’utilisation du placebo pendant les périodes de purge, de préinclusion ou de sevrage interrompt un traitement bénéfique.

Par essence, le placebo ou l’effet placebo est une tromperie. C’est à cette condition que l'on peut connaître la composante psychologique de l’effet placebo, mais la tromperie ne se justifie d’un point de vue éthique que comme une exception, lorsque la vérité a des conséquences pires que la tromperie (le pieux mensonge). En recherche clinique, cette tromperie peut-être évitée, car il n’existe aucune raison scientifique de ne pas informer le patient de l'existence d’une substance inerte parmi les substances qu'il pourrait recevoir. L'objectif recherché n'est pas la production d’un effet placebo, mais un contrôle de cet effet entre les groupes comparés. C'est seulement quand on étudie les effets de l'administration d'un placebo et les facteurs qui le déterminent que le recours à la tromperie est nécessaire, mais ce type de recherche est très rare.

Dans tous les autres cas, la dissimulation n'est ni nécessaire ni recommandable pour des raisons purement scientifiques : elle ne pose donc aucun problème éthique. Le seul cas éthiquement inacceptable est celui où, par crainte que les patients n’annulent leur participation à l’essai, on ne les informe pas de cette participation. Ce type de tromperie n’admet aucune justification éthique.

Doit-on craindre, d’autre part, des effets néfastes de l’administration du placebo ou d'interventions invasives ? Comme le bénéfice pour les patients d’un groupe placebo est mince, certains ont proposé que la recherche qui comprend un groupe placebo soit considérée comme non thérapeutique (sans aucun bénéfice potentiel) : le risque que l’on fait courir aux participants doit alors être minime. Imaginons un essai clinique qui se propose de tester à long terme un traitement intramusculaire sur des patients diabétiques (une population extrêmement sensible aux infections), un groupe recevant le traitement et un groupe recevant un placebo par voie intramusculaire. Le risque lié à l'utilisation du placebo est supérieur au minimum acceptable. S'il n'existait aucune autre solution valable (aucun traitement avec placebo par voie orale) et que cette recherche ait une grande importance d'un point de vue social, on pourrait envisager de faire une exception en prenant des précautions pour éviter les infections. Les mêmes considérations seraient valables si l’essai clinique supposait une intervention invasive.

Les inconvénients indirects telle la privation d’un traitement potentiellement bénéfique, constituent les problèmes éthiques les plus débattus et les plus difficiles à résoudre.. Est-il éthique de comparer à des placebos l’efficacité de nouveaux traitements du SIDA, d’antidépresseurs, d'anti-hypertenseurs ou d’anti-ulcéreux, alors qu’il existe des traitements efficaces pour ces maux ? Et lorsqu’aucun traitement ne permet de lutter contre une maladie mortelle, est-il éthique de comparer l’efficacité d’un nouveau traite-ment à celle d'un placebo ?

Le cas le plus simple est celui de l’indétermination clinique, c’est-à-dire lorsqu’on ne dispose d’aucun autre traitement que celui qui est testé. La communauté scientifique doit identifier clairement ces cas, et l’on accepte alors le recours au placebo, car il ne désavantage pas a priori les personnes qui le reçoivent. Lors d’essais de longue durée, toutefois, on effectue des analyses intermédiaires tout au long de l’essai, afin d’évaluer si la situation d’indétermination clinique initiale perdure. On doit déterminer, avant le début de l’étude, le moment auquel les analyses intermédiaires seront effectuées, ainsi que les critères qui seront employés pour décider la poursuite ou l’arrêt de l’étude.

En revanche, quand on connaît des traitements efficaces autres que celui qui est testé ou quand le traitement censément expérimental a prouvé son efficacité, l’utilisation du placebo est contraire à l’éthique (voir l’encadré page 151).

Deux exemples précisent les problèmes. Imaginons, d’une part, un essai qui comparerait un placebo et un nouveau médicament potentiellement analgésique. Pour mener à bien cette étude, les médecins sélectionnent des personnes auxquelles on doit extraire une molaire. Imaginons, d’autre part, l’évaluation d’un nouvel antiulcéreux dont le mécanisme d’action serait similaire à celui d'autres médicaments déjà commercialisés. Les avantages de l’emploi du placebo, au lieu d’un traitement actif, seraient ici la réduction de la taille de l’échantillon nécessaire et l’estimation des effets non spécifiques qui, dans des situations cliniques telles que celles évoquées, peuvent être importants. La question est la sui-vante : quel est l'excès de risque encouru par les patients auxquels un placebo est administré ?

Dans le cas de l’analgésique, l’excès de risque prévu se réduit à un inconfort qui peut être réduit si l’on utilise un traitement de secours (un analgésique dont l’efficacité est connue) quand l’état du patient ne s’améliore pas après deux heures. De surcroît, comme le placebo soulage la douleur chez 40 pour cent de sujets, le risque supplémentaire que les sujets encourront en raison de la privation de l’analgésique testé sont minimes. En revanche, dans le cas de l’antiulcéreux, le risque excédentaire pourrait être celui d’une hémorragie, d’une perforation de l’ulcère, voire d’un décès par les complications de cette perforation.

Quand le risque est excessif, on peut utiliser une autre technique, telle la mesure de l’acidité gastrique, qui constitue un bon indicateur de guéri-son. De la sorte, on minimise le risque. Si, finalement, l’excès de risque reste supérieur au minimum, la seule justification possible serait d’invoquer une exception pour d’importantes raisons de justice (intérêt social de la recherche), après avoir pondéré la validité des solutions parallèles et leur faisabilité.

Le problème de l’interruption d’un traitement bénéfique se pose surtout lorsque le placebo est employé durant les périodes de préinclusion, de purge intermédiaire ou de sevrage. L’évaluation du risque doit tenir compte des complications possibles de la maladie non traitée et de l’effet de sevrage possible. À cet égard, l’un des facteurs clés est le temps d’observation.

L’utilisation du placebo comme moyen de contrôle a joué un rôle important dans le développement de nouveaux outils thérapeutiques. Toutefois, à mesure que le nombre de traitements validés augmente, les limites éthiques de son utilisation se resserrent. Les avantages méthodologiques qu’apporte le placebo doivent être évalués en fonction de l’excès de risque qu’il implique pour les patients auquel il est administré.


Francisco de ABAJO et Diego GRACIA
étudient l'éthique des essais cliniques
à l’Université de Madrid.

B. LACHAUX et P. LEMOINE,
Placebo, un médicament qui cherche sa vérité,
Meds/McGraw-Hill, 1988.

J. BERNARD,
De la biologie à l’éthique,
Hachette, 1991.

S.J. PROCOCK,
Clinical Trials, a Practical Approach,
John Wiley k Sons, Chichester, 1993.

J.-F MATTEI,
Les droits de la vie,
Odile Jacob, 1996.

B. FEUILLET-LE MINTIER, D. FOLSCHEID et J.-F MATTEI,
Philosophie et droit de l’éthique médicale,
PUF, 1997.

1. « LES GENS VEULENT ÊTRE TROMPÉS », lit-on en latin et en néerlandais sur cette inscription. Sur cette gravure du début du XVIIe siècle, un colporteur propose des préparations médicinales. La majorité de ces remèdes étaient dépourvus d’action thérapeutique spécifique, mais l’effet placebo, entre autres, les faisait passer pour des remèdes efficaces.

2. LORS D’UN ESSAI CLINIQUE, les sujets, volontaires et informés, sélectionnés d après des critères énoncés dans le protocole, sont placés par tirage au sort dans deux groupes qui reçoivent respectivement un traitement A ou traitement B. Les médecins qui traitent les participants ne connaissent pas le traitement qu’ils administrent. Ils reçoivent des enveloppes scellées et numérotées, à l'intérieur desquelles se trouve le code du médicament à administrer. Les traitements A et B sont impossibles à distinguer par leur forme, couleur, saveur, odeur ou consistance (caractéristiques organoleptiques identiques), afin que ni les personnes traitées ni les médecins ne sachent quel médicament est administré (essai en double aveugle). Après un temps de traitement initialement défini par le protocole, on évalue l’effet du traitement et on compare les résultats entre les deux groupes.

3. L’ACTION THÉRAPEUTIQUE DES MÉDICAMENTS, due à leur effet pharmacologique spécifique est compliquée par plusieurs phénomènes. L’effet placebo, qui résulte d’effets psychologiques, s’explique par le caractère symbolique associé à la guérison que possèdent tant le médicament que le médecin lui-même. Les patients atteints de maladies dont l’évolution est fluctuante rendent visite au médecin plus fréquemment au cours des périodes d’intensité maximale des la maladie, à partir desquelles l’évolution naturelle est l’amélioration, même sans traitement (retour à la moyenne). L’emploi ‘un placebo en recherche clinique, permet d’identifier l’effet pharmacologique spécifique des autres facteurs qui interviennent.

4. CLAUDE BERNARD fut un pionnier de l’expérimentation comparative, qu’il décrivit en 1865 dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Il est représenté ici, avec ses élèves, par le peintre Léon Lhermite.

 

5. EMMANUEL KANT (1724-1804) soutenait que les êtres humains sont des fins et non des moyens, qu'lls ont une dignité et non un prix. Kant, représenté ici dans un portrait à l’huile, a également énoncé le principe d’universalité : agis de manière à pouvoir ériger en maxime universelle la maxime de ton action.

6. TECHNIQUE DE DOUBLE AVEUGLE. Lorsque l’on souhaite comparer deux médicaments A et B administrés par des voles différentes, digestive et respiratoire par exemple (essai 1), ou bien suivant une fréquence distincte, trois fois par jour contre une fois par Jour (essai 2), on utilise un placebo pour compenser les différences entre les deux groupes, ce qui permet de mener l’essai en double aveugle. Sur cette figure, le placebo est en couleur, mais, dans la réalité, il est indiscernable du traitement actif.

7. LES TROIS ÉTAPES DU RAISONNEMENT MORAL. Une décision se justifie lorsqu’elle a été adoptée conformément au principe, à l’ébauche et aux maximes. Le principe décrit les principes moraux généraux. En revanche, l’ébauche contient les conditions ou maximes que doivent suivre les normes morales. L’ébauche morale, comme les hypothèses scientifiques, est confrontée à la réalité au travers de l’expérience. Si les conséquences de l’application de l’ébauche morale, jugées d’après le principe, se révèlent pires que celles de sa non-application, il est justifié de faire une exception à l’ébauche jusqu’à ce qu'il soit possible d’en élaborer une meilleure.

Les codes d’éthique

Les comités d’éthique se rassemblent pour édicter des principes et des maximes. L’un des derniers rassemblements a abouti à la Déclaration d’Helsinki-Tokyo, en1975. Celle-ci stipule en particulier des principes appliqués à la recherche clinique. Ensuite, dans chaque pays, des lois sont promulguées en fonction de ces déclarations et des discussions des comités d’éthique nationaux. En France, la loi en vigueur est la loi Huriet-Sérusclat, du 20 décembre 1988. Elle institue les CCPPRB, soit les Comités de Protection des Personnes se Prêtant au Recherches Biomédicales.

Titre II de la Déclaration d’Helsinki-Tokyo, ou Helsinki II (1975) : recherche médicale associée avec des soins médicaux.

1.      Lors du traitement d’un malade, le médecin doit être libre de recourir à une nouvelle méthode diagnostique ou thérapeutique, s’il (elle) juge que celle-ci offre un espoir de sauver la vie, de rétablir la santé ou de soulager les souffrances du malade.

2.      Le médecin devra peser les avantages, les risques et inconvénients potentiels d’une nouvelle méthode par rapport aux meilleures méthodes diagnostiques et thérapeutiques en usage.

3.      Lors de toute étude clinique – avec ou sans groupe témoin – le malade devra bénéficier des meilleurs moyens diagnostiques et thérapeutiques disponibles.

4.      Le refus du patient de participer à une étude ne devra en aucun cas porter atteinte aux relations existant entre le médecin et ce patient.

5.      Si le médecin estime qu’il est essentiel de ne pas demander le consentement éclairé du sujet, les raisons spécifiques de cette proposition devront être contenues dans le protocole de l’expérimentation envisagée transmis préalablement à un comité indépendant.

6.      Le médecin ne peut associer la recherche biomédicale avec des soins médicaux en vue de l’acquisition de connaissances médicales nouvelles que dans la mesure où cette recherche biomédicale est justifiée par une utilité diagnostique ou thérapeutique potentielle pour le patient.

© POUR LA SCIENCE – N° 241 NOVEMBRE 1997


http://wij.free.fr/ethique.htm
Création le 28 mai 2000 par J.-Ph. GÉRARD