S’il est vrai que divers obstacles entravent l’exercice
des arts et des sciences, nuisent à leur étude
approfondie et en restreignent les effets heureux dans la
pratique, je suis d’avis (...) qu’un sérieux préjudice est
causé par la spécialisation excessive des disciplines auxi
liaires de chaque art et, bien plus encore, par la répartition
fâcheuse des activités entre divers praticiens. Ainsi, ceux-
là mêmes qui se sont donné pour tâche la maîtrise d’un art,
s’attachent-ils à ce point à l’une des branches de celui-ci
que, ne pouvant plus s’en dégager, ils délaissent les
autres qui tendent cependant au même résultat. Ils ne
produisent dès lors rien de remarquable et, n’atteignant
jamais la fin qu’ils se sont proposée, ils s’écartent sans
retour de la véritable nature de l’art.

André Vésale
De humani corporis fabrica
(1543)

 

INTERDISCIPLINARITÉ & TRANSFERT de COMPÉTENCES

 

Dès le début de mes études universitaires, j'ai voulu multiplier les points de vue sur les matières que je découvrais. Cette volonté de croiser les références, de confronter les opinions, même (et surtout) les plus dérangeantes, et de les enrichir mutuellement est aussi une constante de ma vie professionnelle. Ce choix de vie exigeant, révèle les bonnes questions, les questions non triviales, celles qui permettent de déceler les subtiles et nombreuses contradictions que la connaissance a accumulées, et ainsi, peut-être, espérer en résoudre quelques-unes. Aussi, plutôt que de rassembler toujours plus de savoirs “ en tas ”, j'essaie d'en saisir les principes fondamentaux et d'appliquer ceux-ci sur des domaines (pas encore) connexes. J'aimerais, à travers mes réalisations passées, vous montrer mes thèmes de réflexion successifs et récurrents, mes interfaces de communication, et les potentialités qui s'en dégagent. Plutôt que d'exposer des résultats trop techniques, qui ne seraient parlant que pour des spécialistes, j'essaierai, autant que possible, de raconter les démarches intellectuelles, d'opportunité ou de choix éthiques qui ont gouverné mon itinéraire.

 

 

Formation à la Recherche

 

Dès la première année de mes études médicales à Rennes j'ai suivi des enseignements complémentaires en faculté des Sciences, puis dans des villes universitaires voisines (Angers) ou moins voisines (Paris, Lyon). Je voulais dès le départ, travailler sur (contre) le CANCER, mais sentais la nécessité d'un bagage théorique et expérimental fort :
. la Biochimie et la Biologie Cellulaire et Moléculaire
étaient deux enseignements pertinents et de plus situés à Rennes ;
. l'Immunologie et la Cancérologie Expérimentale allaient ensemble, de soi, depuis les travaux de Georges Mathé qui reste pour moi, et malgré tout (cf. notes pas encore écrites), une référence visionnaire ;
. l'Informatique en 1981 était à ses balbutiements sous sa forme micro. En maîtriser les principes m'apparaissait une clé pour l'avenir.


Ma première initiation à la recherche expérimentale a eu lieu dans le laboratoire d'Immunologie Expérimentale du Dr Louis Toujas au Centre Anti-Cancéreux Eugène-Marquis à Rennes. Elle consistait à l'époque (1978) en la caractérisation de cellules macrophagiques obtenues par lavage péritonéal de souris préalablement traitées par Brucella abortus (bactérie avec un pouvoir immunostimulant très puissant). Il a fallu imaginer leur séparation sur gradient continu de Ficoll-Hypaque, leur récupération en plus de 25 fractions, et l'analyse des tailles cellulaires de chacune de celles-ci par un compteur-analyseur de cellules sur 512 canaux (Coulter Channelyser dont le premier modèle venait de sortir, sans informatique !)(cf. notes). La comparaison des souris traitées avec les témoins a montré de profonds remaniements des populations cellulaires péritonéales (représentation 3D). Les expériences pour obtenir ces résultats, qui paraissent triviaux aujourd'hui avec les analyseurs de cellules à fluorescence, étaient particulièrement lourdes et totalement nouvelles pour le laboratoire.

En 1979, au cours de mon DEA de Biologie Cellulaire et Moléculaire à Rennes, je travaillais dans deux laboratoires très éloignés (cf. notes), tout en continuant mes études médicales. Dans celui de Louis Toujas, au Centre Anti-Cancéreux, j'établissais les conditions d'élevage de souris puis de rats nude (animaux sans thymus et sans poils), et mettais au point des cages isolantes auto-clavables (non disponibles à l'époque). Je greffais ensuite ces rongeurs avec des tumeurs mammaires fraîchement prélevées. Dans le laboratoire de Neurobiologie Moléculaire du Pr Pierre Jouan, je dosais les récepteurs pour les hormones stéroïdiennes (œstradiol et progestérone) de ces tumeurs greffées, et suivais leur évolution au cours du temps et après traitement par Brucella abortus. Aucune variation (trop significative...) n'a été observée.
(Mémoire de D.E.A.)

 

Pratique de la Recherche

Médecin, immunologiste et cancérologue de formation, toute mon activité de recherche a été centrée sur l'immunothérapie du cancer. Les lymphokines, messagers inter-cellulaires de découverte récente et véritables "hormones" du système immunitaire, ont suscité récemment de grands espoirs pour un certain nombre de maladies touchant de près ou de loin à l'immunité (cancer, greffes de moëlle, SIDA, vaccins...) et ont été, d'une certaine façon, les premiers prototypes des protéines recombinantes d'intérêt thérapeutique, apportées par le génie génétique. Mon itinéraire professionnel a suivi de près l'apparition et la mise en place des biotechnologies appliquées à la Recherche-Découverte pharmaceutique.

 


1979-1981___________________________________________________

 

De fin 1979 à début 1982, j'ai été allocataire de Recherche DGRST dans le laboratoire d'Immunologie et Cancérologie Expérimentale de Jean-François DORÉ (INSERM U218) au Centre anti-cancéreux Léon-Bérard de Lyon.
J'ai étudié, expérimenté et appris (beaucoup!) sous la direction amicale du Dr Jacques BERTOGLIO qui revenait à l'époque des États-Unis avec l'Interleukine-2, alors tout juste inventée sous le nom de T Cell Growth Factor (TCGF).

Dans un premier temps, j'ai travaillé sur la souris où cette activité avait été détectée. Il a fallu imaginer les conditions de culture reproductibles qui permettaient d'obtenir cette activité mitogénique (milieux conditionnés), à partir de cellules spléniques de souris (ou de rat) stimulées par la Concanavaline A (ou Con A, une lectine mitogène). Ensuite nous tentions de faire se multiplier des lymphocytes T immuns dans ces milieux de qualités très variables. Nous prélevions les rates de souris immunisées par des injections de cellules lymphomateuses irradiées (lymphome syngénique dû au virus de Rausher), isolions les cellules spléniques pour les faire se multiplier. Nous réinjections ensuite ces lymphocytes immuns ainsi multipliés en présence de cellules fraîches de lymphome (Winn Assay) à des souris “ naïves ”. C'était la première fois que des lymphocytes T immuns, multipliés in vitro et réinjectés assuraient une pro tection anti-tumorale in vivo. Cette idée a fait son chemin. (Ref 10 et 12)

Très vite, pressentant l'importance potentielle de cette activité mitogène, nous sommes passés à l'homme. Dans un premier temps nous avons préparé des milieux conditionnés à partir de lymphocytes isolés du sang périphérique (ou de rates traumatiques) et stimulés par la PhytoHémAgglutinine (ou PHA, une autre lectine végétale). Ainsi, nous avons vérifié que ces milieux conditionnés augmentaient l'activité cytotoxique naturelle, ou NK (Natural Killer) contre la lignée leucémique de référence K562. L'unité INSERM U218 de J-F Doré est un laboratoire spécialisé sur le mélanome et tout naturellement nous avons utilisé les lignées disponibles comme contrôle. Les lymphocytes périphériques non séparés, ou fractionnés sur gradient discontinu de Percoll, n'ont pas d'activité cytotoxique contre le mélanome. Même la fraction LGL (Large Granular Lymphocytes) de faible densité où est concentrée la quasi-totalité de l'activité NK est totalement inactive. A notre surprise, nous avons constaté que les lymphocytes stimulés 24 heures et plus, tuaient le mélanome avec une efficacité redoutable (80-95 % de lyse à un rapport Effecteur:Cible de 10:1).

Il fallait alors vérifier que l'activité biologique responsable était bien le TCGF (ou IL-2). Nous avons alors entrepris un travail important de production de milieux conditionnés et de caractérisation biochimique. Nous avons pu vérifier que les activités prolifératrices pour les lymphocytes T, de cytotoxicité NK contre K562, et de cytotoxicité contre le mélanome co-éluaient en chromatographie d'exclusion sur gel (poids moléculaire apparent 20-25 kiloDaltons). En 1981, une nouvelle technique de séparation venait d'être rendue disponible, la chromatofocalisation, qui permet de séparer sur colonne de chromatographie les protéines en fonction de leur point iso-électrique (pI). Là encore, nous avons constaté cette co-élution, d'autant plus remarquable que le TCGF a au moins trois pIs bien distincts. Une élimination des acides sialiques (aux extrémités des chaînes glucidiques de cette glycoprotéine) par la neuraminidase réduit cette hétérogénéité à un seul pic de pI voisin de 8.0, et ce pour les trois activités biologiques suivies. Le traitement à pH acide (qui détruit l'interféron gamma) et le dosage des interférons a et b, (molécules susceptibles de provoquer des effets similaires en induction de cytotoxicité), nous ont finalement convaincus qu'une même molécule était responsable de tout, et que c'était bien le TCGF. (Refs 9, 11 et D.E.R.B.H.). Cette activation non spécifique de la cytotoxicité de lymphocytes périphériques humains contre des cibles préalablement résistantes sera plus tard retrouvée et confirmée par Elisabeth Grimm (NIH/NCI, Bethesda, Md). Elle est décrite sous le terme “ LAK ” (Lymphokine Activated Killer).

La purification à homogénéité du TCGF a été tentée. Elle s'est alors révélée impossible. En deçà d'une certaine concentration protéique, l'activité biologique s'évaporait complètement en quelques jours. L'ajout d'un carrier (stablisant protéique : sérum albumine, sérum...) confirmait pourtant que les activités biologiques de cette molécule étaient très stables dans le temps, mais réduisait à néant tous les efforts de purification. Par marquage à l'125Iode et une série d'artifices techniques, nous avons pu identifier la molécule par autoradiographie sur SDS-PAGE (gel de polyacrylamide en tampon dissociant), avec un poids moléculaire apparent de 17 kD. (Ref 9)

 

 

1982________________________________________________________

 

L'exposé de ces travaux lors d'un congrès sur l'Immunomodulation, organisé fin 1981 à Montpellier, a beaucoup intéressé plusieurs laboratoires du NIH, et Ronald H HERBERMAN m'a invité à venir faire un stage post-doctoral en son laboratoire de Frederick, Md. La proximité de mon service national ne permettant qu'un court séjour, j'ai rejoint l'équipe du Dr John ORTAMDO en février 1982 pour une durée de trois mois, finalement prolongée à cinq, afin de vérifier la réalité de nos hypothèses. Les premiers résultats inconstants, devinrent vite catastrophiques. La source de TCGF disponible sur place était un surnageant de lignée leucémique de singe (MLA 144). Il s'est avéré en fait que ce milieu conditionné contenait des activités suppressives importantes, très probablement d'origine virale, sans aucune incidence sur l'activité prolifératrice mais perturbant considérablement l'activation de cytotoxicité. Ce n'est que quelques semaines avant mon départ que j'ai pu obtenir du TCGF hautement purifié, pourtant disponible dès avant mon arrivée. Nous avons cependant pu montrer que l'activation des cellules NK par l'IL-2 était possible, alors que le récepteur Tac était bloqué par un anticorps monoclonal anti-Tac (à l'époque, Tac était la seule sous-unité connue du récepteur de l'IL-2). (Ref 7)

Par ailleurs, ayant rencontré Domagoj Sabolovic (INSERM) en séjour sabbatique dans ce laboratoire, et m'étant intéressé à ses travaux sur l'électrophorèse de lymphocytes en veine liquide capillaire, j'ai fait une hypothèse qui s'est avérée fructueuse. Pour que la migration puisse se faire selon un front bien droit, et éviter les current-drifts (dérives de courant près des parois), il est nécessaire de traiter les capillaires de verre par un dérivé de silane et une solution de méthyl-cellulose polymérisée. J'ai fait l'hypothèse qu'un tel coating (traitement de surface) devait neutraliser les charges de surface du verre, et qu'il était possible que l'évanouissement de l'activité TCGF (IL-2), dont le pI est plutôt basique, soit dû à une adsorption sur les parois des tubes. L'expérience aussitôt réalisée avec de l'interféron cloné marqué à l'125Iode a été concluante (en fait, il y a également neutralisation des groupements silanols qui sont très fortement hydrophobes et qui participent pour une large part à l'adsorption des protéines en très faible concentration).

Une telle astuce technique pouvait intéresser des industriels en train de purifier ce type de lymphokines en vue de leur clonage. Jacques BERTOGLIO venait de rejoindre IMMUNEX Corp à Seattle, Wa. Je proposais mes services à Steve GILLIS qui en assurait la Direction Scientifique, et ai ainsi pu passer trois mois dans une compagnie de biotechnologie, issue des capitaux à risques, et à l'époque en phase de démarrage. Cette entreprise reste pour moi une référence d'efficacité et d'excellence scientifique et industrielle (découvertes majeures, publications dans les meilleures revues, brevets, collaborations, applications cliniques). J'ai pu confirmer les propriétés de la méthyl-cellulose polymérisée en simplifiant le procédé. J'y ai aussi expérimenté l'HPLC (Chromatographie Liquide Haute Pression) en phase reverse (phase organique, type acétonitrile ou propanol), que je soupçonnais fort de pouvoir bouleverser la purification de ces lymphokines. Effectivement l'IL-2, et de façon plus préliminaire l'IL-1 (avec Larry LACHMAN), ont pu bénéficier des quelques recettes disponibles alors, et que j'ai adaptées. J'ai dû quitter IMMUNEX, qui me proposait un poste, pour aller remplir mes obligations militaires.

 

 

1983-1984___________________________________________________

 

À mon retour en France, et après mes “ classes ” à Libourne, j'ai été affecté comme médecin-aspirant au laboratoire de Radiobiologie & Radioprotection du CRSSA (Centre de Recherche du Service de Santé des Armées) à Clamart-Hôpital Percy. Le responsable du groupe, le Dr Dominique Dormont, de retour lui-même des États-Unis (cf. notes) et sans laboratoire opérationnel, m'a permis de travailler dans le laboratoire d'immunogénétique de la transplantation du Pr Jean Dausset (INSERM U93) à l'Hôpital St Louis à Paris. L'équipe du Dr Didier Fradelizi tentait de purifier l'IL-2 naturelle d'origine humaine en grande quantité. J'étais le bienvenu !

Là, j'ai pu, avec un appareillage plus que rudimentaire au début, et travaillant avec les équipements HPLC d'unités voisines, développer un protocole de purification original, pratique et de très haut rendement. Il évitait des étapes classiques certes (précipitation au sulfate d'ammonium, dialyse, concentration sur membranes...), mais ô combien fastidieuses ! Avec l'adsorption des milieux conditionnés sur une colonne préparative d'acide silicique (support très économique, jamais utilisé en chromatographie de protéines auparavant) et élution différentielle de l'Il-2 (avec l'IFNg) par des tampons de force ionique élevée, contenant de l'éthylène glycol et du chlorure de Tetra-Méthyl Ammonium, nous avons pu travailler sur des batchs importants (jusqu'à 50 litres). Cette étape permettait de purifier l'IL-2 plus de 30 fois et de réduire le volume à 200 ml avec des rendements de 115 % (d’après l’activité biologique) ! En fait, nous éliminions des substances inhibitrices, mais le rendement réel était entre 95 et 100 %). Une gel filtration sur une colonne préparative (10 litres de gel ACA-54), permettait surtout un dessalage et nous pouvions charger des volumes d'échantillons de 500 ml à 1 litre sur une colonne d'HPLC phase reverse analytique (C18 µBondapak de Waters, puis C4 de Vydac). Le chargement durait la nuit. Le volume habituel recommandé d'échantillon, pour une telle colonne, était à l'époque entre 10 et 200 µl ! La résolution restait excellente et nous avons été les premiers en France à obtenir de l'IL-2 pure (plusieurs bandes en SDS-PAGE, très fines, très proches les unes des autres correspondant aux différentes formes sialylées) Le facteur de purification final variait de 50.000 à plus de 200.000 fois (selon les quantités de sérum utilisées pour faire les milieux conditionnés) et les rendements finaux étaient supérieurs à 80 %.

Parallèlement, nous avons pu multiplier les rendements de production d'IL-2 dans les surnageants de lymphocytes venant de cytaphérèses et stimulés par la PHA, par un facteur allant de 5 à 20 (!), (en ajoutant une lignée lymphoblastoïde irradiée (SB), un inhibiteur de la prostaglandin synthetase (indométhacine), et surtout et paradoxalement un inhibiteur métabolique puissant de la mitogenèse (NaN3, azide de sodium)).

Ce travail prenant d'optimisation continue et production a permis de nombreuses expériences et publications sur l'IL-2 et lymphokines apparentées. En effet, en dehors de ses besoins propres, le laboratoire de Didier FRADELIZI était le fournisseur d'un bon nombre de laboratoires français (dont celui du Pr Luc MONTAGNIER, qui tentait à l'époque d'isoler le virus du SIDA). Le procédé de purification n'a guère pu être publié, car soutenu financièrement par la SANOFI, avec laquelle le laboratoire avait un contrat.

Par ailleurs, et incidemment, il a aussi permis quelques travaux sur l'interféron gamma (IFNg) et surtout sur un facteur de croissance des lymphocytes B (B Cell Growth Factor, BCGF) de haut poids moléculaire (il existait déjà un BCGF de bas poids moléculaire). Avec l'équipe d'Aimé VAZQUEZ, du laboratoire d'immunopathologie et immunologie virale du Pr Pierre GALANAUD (INSERM U131 à Clamart), nous avons pu séparer cette activité biologique de celle de l'IL-2 (qui interférait bruyamment dans le dosage et co-purifiait dans les autres étapes de séparation), en passant le surnageant brut (avant acide silicique) sur une colonne de Con A Sepharose. Celle-ci laissait passer l'IL-2, tout en retenant le BCGF, avec une élution classique par a-Méthyl Mannoside. (Refs 2-6)

Ainsi l'effort de production important (en temps, en personnel, en réactifs, en argent...) des milieux conditionnés se trouvait un peu mieux rentabilisé. Dans le même ordre d'idées, les fractions éluées des premières étapes de purification, en dehors des zones IL-2, étaient gardées (après “ poolage ” partiel éventuel), filtrées si nécessaire et stockées au froid, en vue de tests ultérieurs pour d'autres lymphokines, de façon que l'investissement de production puisse encore éventuellement resservir.

A la fin de mon Service National, j'ai aidé l'équipe FRADELIZI à déménager vers l'Institut Gustave-Roussy de Villejuif, et à créer le laboratoire d'immunologie et immunobiologie des tumeurs humaines (établissement des plans, suivi des travaux, appels d'offre et choix concerté des matériels lourds). J'y ai initié le laboratoire de biochimie des protéines dans ce nouvel environnement (vacataire INSERM).

Ensuite, avec un contrat SANOFI (CDD), j'ai assuré le transfert des technologies IL-2 (dosages, analyses et purification) vers le Centre de Recherches en Biotechnologie nouvellement créé par SANOFI-Elf BioRecherches à Labège (près de Toulouse). J'ai travaillé avec Willem Roskam et Pascual Ferrara (maintenant Directeur Scientifique du Centre de Labège) sur une IL-2 glycosylée, clonée dans des cellules animales, qui s'est révélée très proche de l'IL-2 naturelle et finalement plutôt simple à purifier.

 

 

1984-1987___________________________________________________

 

J'ai alors été sollicité par ROUSSEL-UCLAF en la personne de Steve Goulden, qui assurait à cette époque la direction des Recherches Biotechnologiques à Romainville. Steve Goulden avait été un des créateurs de la société CETUS aux États-Unis et sa vision de la recherche en biotechnologie dans un milieu industriel compétitif m'avait séduit. D'autant que le challenge était important. ROUSSEL-UCLAF disposait depuis 18 mois déjà de l'IFNg (Interféron gamma) cloné par les soins de TRANSGENE et avait du mal à concrétiser une avance qui à l'époque était réelle. En fait, je me suis aperçu très vite, que le travail effectué sur la purification d'IFNg était dans une impasse, et qu'il fallait presque tout reprendre à zéro, fermentation comprise. Heureusement, et c'est dans ces circonstances de crise que l'on voit l'efficacité industrielle, avec un autre biochimiste recruté pour la circonstance, nous avons eu "carte blanche". Nous avons pu résoudre le problème en quelques mois, et très probablement contribuer à sauver un investissement de plusieurs dizaines de millions de francs. Par ailleurs, ROUSSEL-UCLAF développait l'IL-2 (cloné dans E.coli) et je me suis aussi occupé d'IL-1 beta recombinante.

Il est délicat de rapporter des travaux industriels qui, quoique relativement anciens, doivent être couverts par une discrétion à mon sens nécessaire. Cependant, il n'est pas inopportun de dire qu'à la suite d'un conflit éthique grave, j'ai dû quitter ROUSSEL-UCLAF après presque trois ans de services loyaux et sans aucun doute rentables. Le scandale du “sang contaminé” m'a confirmé que ma prise de position et mes initiatives “ coupables ” étaient tout à fait justifiées et éventuellement justiciables...

 

 

1988-1989___________________________________________________

 

J'ai alors vécu une période difficile et ai mis presque 2 ans et demi avant de regagner un emploi stable. J'ai retrouvé le Dr Joseph HUPPERT, que j'avais connu à Lyon, alors qu'il dirigeait l'unité de virologie INSERM U51. Retraité depuis peu, il continue des recherches à titre

bénévole dans le laboratoire de pharmacologie du Dr TAPIERO à l'I.C.I.G. (Institut de Cancérologie et d'Immunogénétique) à Villejuif. Il s'agissait d'identifier dans les tissus d'origine humaine des substances régulatrices (activatrices et inhibitrices) de la reverse transcriptase, enzyme clé de la réplication des rétrovirus, dont HIV responsable du SIDA fait partie. Mon expertise des purifications de facteurs biologiques actifs en quantité minimes a contribué à l'avancement significatif de ce projet et à isoler un inhibiteur apparemment spécifique (il pourrait être un des facteurs explicatifs de la non-transmission systématique du virus de la mère à son fœtus). Depuis, la structure a été complètement caractérisée (2 acides aminés + 1 sucre), la synthèse faite, un brevet déposé et Joseph HUPPERt est en contact pour cette même molécule avec plusieurs sociétés pharmaceutiques. C’est à ma connaissance le 1er inhibiteur humain de reverse transcriptase identifié.

 

 

1990________________________________________________________

 

Finalement, le Centre National de la Transfusion Sanguine (CNTS) aux Ulis, m'a recruté pour mettre en place le laboratoire d'Innovation Cellulaire avec le Pr Jacques Bartholeyns.

Mes projets qui concernaient :

- l'activation ex-vivo de monocytes humains prélevés par cytaphérèse, différenciés en macrophages en poche Teflon™ au bout d'une semaine de culture, activés par l'IFNg, et réinjectés à des patients porteurs de tumeurs diverses ;

- la production de facteurs cicatrisants issus des éléments figurés du sang, soit par lyse, soit par culture ;

- et la veille technologique et stratégique de ce domaine ;

ne peuvent guère plus être expliqués.

 

Fin 1990, pour les raisons que vous connaissez et pour de graves problèmes de trésorerie, le CNTS a dû désinvestir les derniers projets initiés.

Ainsi, fidèle à ma vocation initiale, après avoir assisté à l'apparition des interleukines, lymphokines et autres cytokines, et vécu les bouleversements conceptuels qui s'en sont ensuivis, j'ai non seulement gardé intact mon intérêt pour l'immunothérapie du cancer mais l'ai continûment enrichi. Des excursions temporaires apparemment éloignées de ma préoccupation principale, ont ramené des observations pertinentes et souvent simplificatrices.

Je décidais alors de suivre une formation en gestion et management et de m'orienter vers des activités de conseil et/ou d'administration de la recherche (cf. 2.3 travaux en cours et projet).

Par ailleurs, avec ma compagne, médecin généraliste dans une banlieue difficile, je participe à ses gardes de nuit et de week-end, en tant que chauffeur, garde du corps (!) et consultant. Cette activité qui préserve les racines originelles de ma formation médicale, m'en rappelle sans cesse les principes et la déontologie et surtout, les attentes fondamentales de populations qui vivent dans un contexte social et économique pénible.

 

 

Enseignement & Communication

 

- Au cours de mes études médicales, et du fait des enseignements complémentaires reçus en faculté des Sciences, j'ai été moniteur de travaux dirigés de Biophysique en 2ème année de médecine.

- En 1985, le Pr Dominique CHARRON m'a demandé d'assurer la partie purification de protéines par HPLC (avec démonstrations et travaux pratiques) d'un séminaire technologique qu'il organisait pour l'INSERM à la Pitié-Salpétrière.

- A ROUSSEL-UCLAF, j'ai assuré l'encadrement de deux étudiantes en DEA de pharmacologie, et une des techniciennes, qui a travaillé avec moi à la purification et à l'analyse des lymphokines recombinantes pendant deux ans, alors que la biochimie des protéines n'était en rien sa formation initiale, est passée Cadre de Recherche à mon départ et m'a en bonne partie remplacé.

- Lors du transfert des technologies Interleukine-2 vers la SANOFI, j'ai formé un élève-ingénieur, qui a finalement été embauché à la place que je venais de quitter.

- Après mon départ du laboratoire de Didier Fradelizi, je me suis occupé pendant plusieurs années, et à titre bénévole, de la maintenance informatique des ordinateurs PC en libre service (hot line, configurations, dépannages, formation).

- Avec Mme Monique Bruston (Ingénieur de Recherche au CNRS), chargée de la communication à l'Institut des Neurosciences (quai St-Bernard à Jussieu), je me suis occupé (fin 92-début 93) de la conception, de la mise au point, de la fabrication et du lancement de l'annuaire de cet institut de 200 personnes (classeur avec trombinoscope et fiches individuelles relativement détaillées qui devrait permettre une meilleure connaissance interne des ressources humaines et techniques de cet institut).

Je tente actuellement de développer cette expérience en créant une entreprise de conseil pour l'administration de la recherche pour les organismes publics de recherche ou les entreprises industrielles. A ce jour, j’ai réalisé un premier annuaire des ressources technologiques et humaines (dont le principe est détaillé dans la partie Projet) pour un institut de recherche parisien et plusieurs autres projets sont en cours de négociation. Malgré l'accueil a priori favorable des propositions que j'ai pu faire, il n'est pas certain que la période soit bien choisie pour entreprendre une société autonome dans ce secteur d'activités...

 

- En 1993, grâce à Mme Françoise BELLANGER (DR1 Inserm), j'ai travaillé quelques temps (3 mois) à la Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette. A la direction de la communication, avec Alain ROLLET au service Presse, j'ai participé à la promotion d'une exposition temporaire sur “ La Douleur ”. A la direction des expositions avec Camille PISANI, j'ai préparé un dossier sur l'épidémiologie en vue de l'animation de l'exposition permanente “ La Santé et les Hommes ”. Pour l'équipe des animateurs, j'ai aussi assuré une formation adaptée mais dense, à cette discipline essentielle de la médecine qu’est l’épidémiologie. Je crois qu'elle a été plutôt bien reçue, et m'a confirmé s'il en était encore besoin, mon goût pour la création et le partage de cultures communes.

- Avec ma compagne, nous nous occupons d'une association d'étudiants et travailleurs immigrés mauritaniens, tous originaire d'un même village. Cette association Medemade (solidarité en langue Soninké) a pour objet l'évaluation des besoins de ce village, l'envoi régulier d'argent, de médicaments, de livres, d'équipements scolaires et de matériels introuvables sur place, avec une stratégie d'insertion locale des étudiants formés en France et d'aide au retour des travailleurs émigrés.

- L'ouverture à l'Est de l'espace Européen est une perspective d'avenir à intégrer malgré les difficultés actuelles. La clé essentielle d'une culture est sa langue. Depuis plus de deux ans maintenant, j'apprends le russe.

 

 

En conclusion

 

. j'ai acquis une bonne connaissance théorique et pratique de la recherche expérimentale et, en milieu industriel, de la recherche appliquée ;

. je me suis occupé de transférer mes nouvelles connaissances maîtrisées, et les compétences techniques de domaines émergents ;

. j'ai pratiqué la veille technologique et stratégique en contexte industriel pharmaceutique ;

. j'ai vécu une mobilité thématique, fonctionnelle et géographique ;

. j'ai suivi une formation à la gestion et au management ;

. je participe toujours à la mise en réseau des compétences et savoir-faire des “ croisés ” de la médecine et de la recherche.

 

http://wij.free.fr/eMMeM/inserm.htm
Création 1995
par J.-Ph. GÉRARD